Baie-Trinité s’avère probablement le village le plus maritime de la région de Manicouagan. C’est un village tout en longueur, fait d’une succession d’anses et de pointes où des pêcheurs sont venus s’établir pour y exercer leur métier. L’importance maritime de Baie-Trinité tient aussi au fait qu’à l’époque de la navigation à voiles, la plupart des bateaux arrivés d’Europe s’y arrêtaient. Confrontés à l’entrée du St-Laurent à un vent qui vient des Grands Lacs, un vent dominant du sud-ouest, les voiliers doivent remonter le fleuve en zigzaguant pour se rendre à Québec. Ils se dirigent d’abord vers la Côte-Nord; plein ouest, et aboutissent quelque part sur le littoral entre Sept-Îles et Baie-Trinité. S’ils arrivent près de Sept-Îles, ils remontent la côte jusqu’à Baie-Trinité, puis longent la Pointe-des-Monts et traversent ensuite vers la Rive-Sud pour éviter les grands bancs de sable de Manicouagan. De la Rive-Sud, ils s’engagent dans un autre axe vers Tadoussac. C’est la façon la plus sécuritaire de remonter le St-Laurent en voilier.

Baie-Trinité constitue donc une zone maritime importante et les naufrages y furent nombreux. Une épave qui date de l’époque de la Nouvelle-France a d’ailleurs été retrouvée récemment: le Élisabeth and Mary, un bateau armé à Boston et faisant partie de l’expédition de guerre de Phips en 1690.

La population de Baie-Trinité comptait alors une forte population autochtone. La rivière à saumon explique facilement leur présence pendant l’été, mais il s’était aussi développé une importante activité de chasse au loup-marin autour de la Pointe-des-Monts pendant l’hiver où se retrouvaient une vingtaine de familles. Ces familles vivent du saumon pendant l’été et du loup-marin pendant l’hiver. L’huile de loup-marin est vendue à des commerçants et utilisée entre autres pour la friture des aliments.

La première zone de cette région à être développée de façon permanente, est la Pointe-des-Monts. En 1830, le gouvernement fédéral décide d’y construire un phare justement pour que les navires arrivant d’Europe puissent reconnaître l’endroit où ils devront bifurquer pour se rendre sur la Rive-Sud. Autour de ce phare va graviter une série de familles blanches dont plusieurs descendants s’établiront dans la région par la suite. C’est ainsi que la fille du gardien Zoël Bédard va marier Antoine-Alexandre Comeau , un commerçant de fourrures qui s’établira sur place par la suite. Viendra ensuite la dynastie des Fafard qui tiendra le phare pendant plusieurs décennies. Le vieux phare sera remplacé en 1964 par un phare moderne érigé à environ un kilomètre de l’emplacement initial.

La Pointe-à-Poulin, un lieu situé près de Baie-Trinité, doit son nom à François Poulin, un tonnelier employé de la Baie-d’Hudson, qui s’établit dans cette baie située à l’ouest de Baie-Trinité aux environs de 1840. Il sera rejoint plus tard par un autre ancien employé de la compagnie, Antoine-Alexandre Comeau qui s’installe dans la même zone.

Beaucoup plus loin vers l’est, autour de 1850, un certain nombre de pêcheurs et de chasseurs viennent s’établir aux Ilets-Caribou. Plusieurs sont d’origine amérindienne comme les familles Vollant, Vachon, Tsernish et Ashini. Les pêcheurs sont attirés par les îlots qui, situés près du rivage, fournissent un abri sûr pour leurs chaloupes et leurs barges. Les pêcheurs du coin sont des Beaudin, des Comeau, des Lévesques et des Jourdain. Les Jourdains sont les descendants d’un autre ancien employé de la Compagnie de la Baie-d’Hudson qui s’appelait Jordan. Une chapelle est érigée en 1873.

Entre ces deux extrêmes, la Pointe-à-Poulin et les Ilets Caribou, va se développer le site le Petit Mai où s’installent Magloire Boucher, un navigateur originaire des Escoumins et Joseph Thibault, un constructeur de bateaux pour la pêche à la morue et au flétan, près du littoral. Du côté de Baie-Trinité, des Bilodeau et des Desrosiers vont s’établir autour de 1850. Une chapelle est construite en 1898. Avec celle de la Pointe-des-Monts, érigée en 1890, on retrouve donc une série de trois chapelles pour desservir les différents petits hameaux de pêcheurs des environs

Le village de Baie-Trinité lui-même va prendre beaucoup d’importance à compter de 1927-28, lorsqu’une compagnie forestière, la « Saint-Lawrence » commence l’exploitation des forêts environnantes. La croissance est rapide: les 25 personnes vivant au village en 1921 passeront à 400 en 1929, une fois la compagnie installée! Cette croissance implique une intense circulation des bûcherons qui montent dans la forêt pendant l’hiver, qui en descendent au printemps. L’écorçage du bois et le chargement du bois qui commencent au mois de mai impliquent une série d’aménagements: un petit quai à l’est de la baie, un petit chemin de fer, un barrage pour retenir le bois, un arboriduc… C’est le village forestier classique. Un petit « pouvoir » hydroélectrique de 230 chevaux-vapeur permet d’éclairer quelques maisons, surtout pendant l’été, car l’hiver l’approvisionnement en eau est coupé.

Au début, les activités de la compagnie tournent un peu au ralenti, c’est la crise de 1929 qui se fait sentir dans la région, surtout à partir de 1930. Un grand feu de forêt éclate en 1932, il est tellement violent qu’un bateau est amarré au quai, prêt à évacuer la population si la situation dégénère. Bref, tout part lentement, mais finalement fonctionne assez bien. En 1939, on construit une église, puis quelques années plus tard, une salle paroissiale, un couvent et, en 1955, une grande école. La paroisse est érigée en 1948 avec un curé permanent et la municipalité est créée en 1954-55 suite aux pressions, entre autres, des autorités religieuses dont un curé, le Père Dudas, qui dénonce la « dictature » de la compagnie…qui dirigeait tout jusque là.

Les années 60 sont difficiles pour la municipalité de Baie-Trinité. En 1960, un grand feu détruit l’usine d’écorçage et les opérations forestières sont presque abandonnées au cours des mois suivants. En 1962, la compagnie St-Lawrence vend ses installations forestières et ses équipements à la compagnie Domtar qui n’exploitera jamais vraiment le site. Le tout est cédé au gouvernement du Québec en 1970.

Au plan économique, le village de Baie-Trinité a été relativement protégé du désastre par l’installation, dans les années ‘70, d’une usine de transformation des produits de la mer, une usine aujourd’hui très active. Pour sa part, la rivière à saumon, une des premières rivières à ne plus être un club au Québec, a été prise en charge par un organisme local lui aussi très actif, ce qui a un impact certain au plan du tourisme sportif. Enfin, le phare de Pointe-des-Monts a été racheté par le gouvernement du Québec au moment de sa fermeture en 1964, a été récupéré par le ministère des Affaires culturelles et classé « Bien culturel ». Aujourd’hui, il supporte un petit centre de villégiature qui gravite autour d’un musée consacré à l’histoire des gardiens successifs. Le Phare de Pointe-des-Monts constitue un des beaux fleurons de l’histoire nord-côtière.

Texte de Pierre Frenette, professeur d’histoire